mercredi 14 juillet 2010

Le lac


Léo ne se doutait pas, en quittant son habitat estival nordique l’an dernier que sa mère n’y serait plus l’année suivante. Elle s’évertuait bien à faire son éducation et à lui transmettre ses recommandations mais, naïf, il croyait qu’elle était éternelle et qu’elle accepterait de répéter plus tard, alors qu’il aurait vieilli et qu’il serait plus sage. Il avait bien un vague souvenir au sujet d’un certain lac. N’y va pas ! Ne te laisse pas attirer par le calme et la beauté ! Il ne se souvenait absolument pas de quel lac il était question, ni pourquoi cet interdit. Des bribes de conversation lui revenaient quelques fois, mais c’était trop loin !

Léo était un canard bien étrange. En apparence, il était comme tous les autres. Sa tête, d’un vert chatoyant, faisaient même l’envie des autres mâles qui revenaient avec lui du sud des États-Unis. C’était un bel oiseau, mais il était distrait. Il fallait constamment le ramener à l’ordre, sinon il se perdait et se retrouvait dans des situations embarrassantes. Il suffisait qu’il cligne des yeux pour oublier d’où il était venu. Heureusement, il savait rester proche des autres colverts.

Le voyage tirait à sa fin et il devait se poser là où il était né. Il ne se souvenait pas. Maman, le connaissant bien, lui avait décrit l’endroit recherché avant de disparaître. Il refusait encore de croire qu’elle était morte mais les chasseurs s’étaient montrés nombreux le jour de sa disparition. Avait-elle parlé d’un lac rougeâtre ? Il venait tout juste d’en survoler un. Il suivrait les autres encore un peu et reviendrait peut-être plus tard s’il ne trouvait rien plus loin. Ce lac lui semblait familier.

Quelques jours plus tard, alors qu’il avait dû admettre qu’il s’était encore trompé, il rebroussa chemin. Le lac rouge avait disparu. Un lac verdâtre aux reflets turquoise attirait cependant son attention. Est-ce que Maman avait parlé d’un lac qui changeait de couleur ? Il en était convaincu mais trouva l’idée un peu farfelue. Plus il en approchait, plus il tombait sous le charme de cet endroit. Étourdi qu’il était, Léo ne prit pas la peine de remarquer toutes les clôtures qui cerclaient cet endroit. Il ne vit pas non plus les étranges cabanes distribuées sur les rives et l’amas de terre rouge qui s’échappait des énormes tuyaux près des cabanes. Tout ce qu’il vit, c’était la beauté de l’eau. Il ne lui sembla même pas étrange qu’aucun autre colvert n’aie rejoint ce plan d’eau.

Il continua sa descente et se posa doucement sur l’eau scintillante et d’un calme parfait. Au moment où il bascula pour enfoncer sa tête dans l’eau turquoise, il se souvint. Le brûlement dans ses yeux fit résonner dans sa tête les paroles insistantes de sa mère. Il ne devait jamais se poser sur ce lac, l’humain l’avait empoisonné. Elle ne savait pas, puisqu’elle n’était qu’une pauvre maman canard, que ce lac était un bassin de produits chimiques. Ce qu’elle savait par contre, c’est qu’il ne fallait pas y toucher, pas même du bout d’une plume, au risque de mourir brûlé !

8 commentaires:

  1. L'histoire ne dit pas si Léo est parvenu à s'échapper de cette marre polluée. Je sais qu'on s'en fout, mais comme nous y étions déjà attachés, le sort du volatile nous importe. :-)

    Bravo! Admirable critique de l'humanité.

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  2. Je ne suis pas certaine à 100% mais je ne pense pas que Léo s'en soit sorti. C'est malheureux. Par contre, la réponse peut également dépendre de la personne à qui la question est posée. Les gens qui ont causé sa mort diront qu'ils ne l'ont pas tué, et ceux qui y ont assisté diront (espéreront) qu'il n'aie pas survécu.

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  3. ... car un canard carbonisé n'est plus qu'une plume de lui-même; plume qu'il n'a plus d'ailleurs.

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  4. Ça, si c'est pas la fiction élusive après laquelle tu courrais, ça y ressemble drôlement. J'aime le traitement de l'idée, la morale sous-entendue, le ton léger, simple.

    Très beau texte.

    Je crois que je vais aller pisser sur un arbre.

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  5. @ Lui

    Lol

    Puis-je souiller l'autre versant??

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  6. Si votre urine n'est pas caustique, allez-y sans gêne...

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  7. Soit. Nous ferons. À tour de rôle, toutefois.

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  8. Ça vous évitera les éclaboussures gênantes.

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