mardi 31 août 2010

Vie de mouche


Même si notre cerveau, machine incroyable qu’il est, sait que nous sommes [presque] en automne, l’actuelle température, 836°C, 1067° avec humidex, confond tous les sceptiques à nous en faire croire que nous sommes en plein mois de juillet. Tout le monde y croit, sauf les mouches.

Elles, si insignifiantes et dégoûtantes soient-elles, savent. Leur bourdonnement, si subtil puisse-t-il être en plein été, est devenu fort et irrégulier. Leurs déplacements, autrefois vifs et précis, sont devenus aléatoires et saccadés. Ainsi, depuis le début de la semaine, et peut-être un peu avant, je ne me souviens plus, elles s’affairent, toutes autant qu’elles sont, à ruiner ma santé mentale, à grands coups de « zzzzzzzzzzzzzzzzzz toc. Zzzzzzzzz toc ».

Cet après-midi seulement, elles étaient bien une bonne centaine dans ma fenêtre (je n’exagère jamais, pour ceux qui me lisent pour la première fois, et j’ai horreur du sarcasme, trop compliqué) à peaufiner leur plan machiavélique, qui mènerait forcément à une crise de nerf de ma part. Fait intéressant, ou mise en contexte plutôt, ma fenêtre se trouve géographiquement à treize pouces de mon oreille droite, 33.02 cm pour les fervents défenseurs du système métrique. Le temps de réaction de mon système nerveux est donc réduit au minimum, ce qui est proportionnel à ma patience.

Pour mettre fin à la torture, selon moi bien pire que le supplice de la goutte, ou de l’empilade de roches sur la cage thoracique, j’ai tôt fait de mettre en œuvre le plan d’urgence. Dans un accès de fureur, j’ai tiré rageusement sur les deux cordons de mon store horizontal en métal, bien plus esthétique que fonctionnel, m’y reprenant à trois reprises, dans le but de libérer le terrain pour cette attaque imminente. Elles étaient toutes là, le regard hypocrite, et me toisaient, se transmettant entre elles les ordres, fin prêtes à la contre-attaque, dans une télépathie mouchienne qu’il ne m’est pas donné de comprendre. Misant sur la force physique plutôt que sur la stratégie, j’ai frappé, frappé, frappé encore, jusqu’à ce que le sol soit jonché de cadavres et de survivantes, combattant la fameuse lumière blanche au bout du tunnel (merde, est-ce que ça veut dire que les mouches vont au paradis?).

On m’a raconté, bien après le massacre, que des gens autour de moi avaient crié, qu’ils m’avaient suppliée de leur laisser la vie sauve. Il n’en fut rien.

Plus tard dans l’après-midi, alors que je pouvais enfin profiter du silence que m’offrait ma fenêtre, ma vessie crut bon manifester sa présence (je suis humaine). Une fois dans la salle de bain, elle était là, par terre, lente et presque agonisante. Elle me regardait, elle aussi, de ses gros yeux à la fois hargneux et affolés. Elle savait. On lui avait parlé de moi. J’étais donc devenue une légende? Sans même gaspiller une seconde complète de ma vie, j’ai délicatement posé mon pied sur son corps mou et caoutchouteux (je suppose seulement, je n’ai pas touché avec mes doigts, quand même) et j’ai appuyé. La pression était ferme mais douce. Nul besoin de la pulvériser, d’extraire tout le liquide brun qu’elle était capable d’emmagasiner, méthode qu’elles adoptent afin de nous faire croire que nous aurions dû les épargner.

Ce fut plutôt un liquide translucide qui gicla, lorsque la pression interne fut trop forte. Je crois qu’à cet instant, j’ai eu des remords. Cette pauvre mouche, contrairement à ses anciennes collègues, ne m’avait rien fait. Elle ne s’était que trouvée sur mon chemin, et ça l’avait tuée. Étais-je plutôt un être sanguinaire finalement, vivant de la satisfaction des mouches mortes violemment?

Ce n’est qu’une fois de retour dans mon bureau, après avoir noyé une autre mouche et en avoir écrasé deux de plus, se mouvant au gré de leurs capacités dans mes papiers importants, bondissant même sur mes crayons (Dieu merci, je ne les porte jamais à ma bouche) que j’ai dû admettre que je ne changerais pas, et que les mouches automnales ne gagneraient jamais cette guerre. Je les tuerai toutes, sauf celles qui se donneront elles-mêmes la mort, se groupant dans les luminaires. Les avait-ont mal informées sur la lumière blanche au bout du tunnel?

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